Piraterie. Des procédures pénales qui ne tiennent pas la mer (Ouest-France)

mercredi 14 octobre 2009
Piraterie. Des procédures pénales qui ne tiennent pas la mer


Lundi, la France a remis aux autorités du Puntland cinq pirates qui ont tenté d'aborder le pétrolier-ravitailleur La Somme. Ces libérations interviennent alors que onze autres pirates somaliens présumés ont été relâchés sur ordre des autorités de Mahé et ont repris la mer.

Qu'ils soient finalement relâchés ou en cours de jugement au Kenya, comme c'est le cas actuellement pour onze des groupes capturés par les forces navales européennes, les pirates font l'objet de procédures pénales caduques.

« Les concepts sur lesquels s'appuient ces procédures n'aiment pas forcément le voyage de mer », ironise Jean-Paul Pancracio, professeur de droit, directeur d'études au Centre d'études et de recherche de l'École militaire, et auteur du livre Le défi de la piraterie maritime et de son traitement judiciaire.

Le constat est repris à la volée par Emmanuel Altit, membre d'Avocats du monde, l'association qui assiste les pirates jugés depuis le début du mois par un tribunal de Mombasa au Kenya.

« Le système judiciaire kenyan est dans l'incapacité de juger ces affaires qui demandent de l'expertise humaine et des moyens matériels, explique Emmanuel Altit. En outre, les procédures ont été menées en dépit du bon sens : personne n'a vérifié les conditions d'arrestation ; les règles juridiques pour la collecte des preuves n'ont pas été respectées ; la durée de détention sur les navires européens pose aussi problème... Mais on ne peut en vouloir aux militaires : ils ne sont pas là pour faire le boulot des procureurs. »

« Le droitn'est pas respecté »

La faute à l'impatience des politiques et des diplomates européens qui ont concocté un « bel accord » avec le Kenya: les marins européens d'Atalante arrêtent les pirates, collectent les preuves, transfèrent leurs prisonniers au Kenya, en faisant en sorte qu'ils soient bien traités puis ils laissent la justice locale juger les pirates somaliens. « Une fois encore, le droit n'est pas respecté : les pirates présumés ne disposent pas d'une bonne défense, ils n'ont pas les moyens de faire venir des témoins ou de faire collecter des preuves à décharge. Ils ne bénéficient donc pas d'un procès juste et équitable. »

Par conséquent, « la France et tous les pays européens » seront condamnés par la Cour européenne des droits de l'homme, si elle est saisie, pour violation de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés.

En attendant, les Somaliens qui attendent leur jugement ou qui seront incarcérés après leur éventuelle condamnation risquent de sombrer dans les limbes du non-droit et d'être emprisonnés dans une prison « hors-la-loi »: « Les Européens se préparent un petit Guantánamo local », avertit Emmanuel Altit qui milite pour « un système de répression et de jugement crédible ».



Philippe CHAPLEAU.
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